Le billet suivant est une reprise d'un Quinze que j'en pense, datant originalement du 24 décembre 2011. |
L’âge d’or de la télévision
Dans un billet que j’ai publié en novembre 2011, j’ai longuement discuté du concept de «l’âge d’or de la télévision», dans le contexte canadien et montréalais. Bien sûr, les premiers balbutiements de la télé ailleurs dans la Francophonie varient tout dépendant des pays et de leur chevauchement relatif à la technologie électronique de l’époque…
Pour nous en Amérique du Nord, l’âge d’or est inexorablement reliée à l’épanouissement de la télé aux Etats-Unis – leur âge d’or (subjectivement parlant) commence autour de 1947 et se termine avec l’assassinat du Président Kennedy en 1963. Pour toutes sortes de raisons, les débuts de la télé aux USA est étroitement associée à la radio. Les liens sont multiples: les grandes sociétés électroniques (comme la RCA) opéraient les grands réseaux de chaînes de radio, et de facto prirent en main les chaînes de télé. De plus, alors que le nouveau medium se découvre, les formules de programmation populaires à la radio (les romans fleuve – ou soap operas car commandités par les fabricants de détersifs, les émissions animées par des personnalités et les évènements sportifs) deviennent les éléments qui formeront la programmation des télédiffuseurs.
La société RCA (fabricant de téléviseurs) et son réseau – la NBC – étaient également comparses dans la mise en ondes d’événements télévisuels qui encourageraient l’achat d’appareils, et ciblent la «haute classe moyenne», ces familles qui sont éduquées, et qui bénéficient de fonds supplémentaires… En bref, les dirigeants de la NBC crurent que le mariage télé-culture était fait sur mesure pour attaquer ces deux objectifs. Ainsi donc, les anthologies de programmation culturelle (typiquement diffusées le dimanche soir) sont un maillon important pour la NBC (et son rival, la CBS).
La NBC a également d’autres effectifs intéressants qu’elle peut appliquer dans cette entreprise: le NBC Symphony et son chef Arturo Toscanini viennent immédiatement à l’esprit. La NBC utilisera Toscanini non seulement pour la diffusion de concerts, mais également pour la mise en ondes d’opéras - Aida à la fin des années 1940. La NBC commanda un opéra pour la radio (The Old Maid and the Thief – La vieille fille et le voleur – 1939) d’un jeune compositeur Italo-Américain, Gian Carlo Menotti. Menotti suivit cet opéra en un acte de deux autres (The Medium et The Telephone), qui eurent leur bonne part de succès.
La table est donc mise: la NBC commande à Menotti un nouvel opéra en un acte, mais cette fois ciblant la télévision. Menotti accepte la commande en 1950, mais a du mal à trouver un sujet… Il a procrastiné, et on se retrouve maintenant à l’automne de 1951. La NBC cible la fin de l’année pour la mise en ondes de son opéra, mais il n’a pas fait beaucoup de progrès. Selon Menotti, en quête d’inspiration, il visite le Manhattan Museum of Art, et se retrouve devant un tableau du maître néerlandais Hieronymus Bosch «L’adoration des Mages», et il est soudain saisi par ses souvenirs d’enfance, et de l’histoire des Rois Mages de la Nativité.
Il entreprend donc d’écrire un opéra/conte de Noël. La NBC s’empresse d’assurer la commandite de la société de cartes de souhaits Hallmark pour cette émission, et le reste (comme on le dit en anglai) is history.
Ainsi donc, aux studios de la NBC au Rockefeller Plaza de New York, à 22 heures le 24 décembre 1951, on met en ondes en direct, une double première le premier épisode de l’anthologie «Hallmark Hall of Fame» (une anthologie qui, encore aujourd’hui 60 ans plus tard, offre une ou deux émissions annuellement) et la première de Amahl and the Night Visitors (Amahl et les visiteurs nocturnes) de Menotti.
Argument
Voici mon synopsis de cet opéra, chanté en anglais et ciblant toute la famille. Sa durée moyenne est d’une cinquantaine de minutes.
L’action se passe en Terre Sainte, autour de la naissance de Jésus-Christ. Après un court prélude musical, on retrouve le berger infirme, Amahl. Le garçon, possiblement âgé d’une dizaine d’années, joue du pipo au crépuscule devant la maison maternelle. Sa mère l’appelle à rentrer à la maison. Amahl tarde, et explique à sa mère que la nuit est belle, et que le ciel arbore une large étoile «grande comme notre fenêtre». Sa mère, incrédule et préoccupée explique à Amahl qu’ils n’ont rien à manger, et qu’ils devront se résigner à une vie de mendiants. Elle éclate en sanglots, et le petit Amahl tente de la consoler (Don’t cry, Mother Dear – Ne pleure pas, chère maman).
Dépourvus de dîner, Amahl et sa mère trouvent difficilement sommeil. Pendant ce temps, une procession approche et s’arrête devant leur maison. On frappe à la porte, et Amahl est envoyé pour répondre. Il court chercher sa mère (Mother, Mother, Mother come with me – Maman, viens avec moi). Il y a un «roi qui porte une couronne» à la porte. Incrédule, la mère gronde son fils, qui a l’habitude de raconter des histoires. On frappe de nouveau, et Amahl revient avec une nouvelle histoire «Il y a deux rois». On frappe une troisième fois «Il ya trois rois, et l’un d’entre eux est Noir». Exaspérée, la mère ouvre elle-même la porte et est confrontée aux trois Rois et leur page. Ils demandent l’hospitalité pour la nuit. Expliquant qu’elle n’a rien à manger, elle leur offre «un petit feu et un lit de paille», qu’ils acceptent volontiers.
Maman laisse Amahl avec les Rois pendant qu’elle va chercher du bois pour le feu lui rappelant «don’t be a nuisance – ne les dérange pas trop». Amahl pose plein de questions aux Rois, à propos de leur pays lointain. Il essaie d’entretenir une conversation avec le roi Gaspard (qui est dur d’oreille). Enfin, maman revient et envoie Amahl demander aux autres bergers s’ils ont de quoi manger.
Pendant l’absence d’Amahl, la mère s’entretient à son tour avec les Rois, et remarque la myrrhe, l’encens et l’or qu’ils ont avec eux. Ces cadeaux sont pour qui? Connaît-elle l’enfant qu’ils cherchent (Have you seen a Child the colour of wheat, the colour of Gold? – Avez-vous vu un enfant, coulleur de blé, couleur d’or?). La conversation est interrompue par les chants de bergers qui s’approchent. Ils présentent une offrande de nourriture, et un petit numéro de danse. Les visiteurs, fatigués, remercient les bergers, et on se couche. Maman ne trouve pas sommeil: «tout cet or». Et qui est ce mystérieux enfant? Elle a un enfant, et il a faim. Elle décide donc de prendre un peu d’or. Alors qu’elle s’apprête à prendre une poignée de pièces, le page la surprend, et sonne l’alarme.
Amahl, outré, se porte à la défense de sa mère (Don’t you dare touch my mother – N’osez pas toucher à ma mère). Les Rois sont vite à réagir (You can keep the Gold – Vous pouvez garder cet or), car l’enfant qu’ils cherchent n’en a pas besoin. Il sera un grand Roi, et son Royaume accueillera qui le voudra. La mère, émue, explique qu’elle ne veut plus de cet or, et que si elle avait quelque chose à offrir à cet enfant, elle le ferait volontiers.
«Donnez-lui ma béquille», dit Amahl. «Qui sait, en aura-t-il besoin?»
J’arrête le synopsis ici, afin de ne pas révéler la fin miraculeuse de cet opéra.
La Bande Kinéscopique
Rappelons que le kinéscope était l’appareil utilisé par les télédiffuseurs pour «enregistrer» les émissions de télé avant l’avènement du magnétoscope. Un kinéscope, essentiellement, est une ciné-caméra qui filme un moniteur à faiseau cathodique. La NBC aura donc croqué la première de l’opéra avec cet appareil.
Pour plusieurs années, Amahl était l’objet d’une nouvelle production (toujours sous la direction de Menotti lui-même, avec des distributions différentes), en plus de faire usage de kinéscopes de performances antérieures. Avec les années, la NBC a mis fin à ses productions d’Amahl en direct, et il existe au moins deux prestations filmées, dont une (avec Teresa Stratas dans le rôle de la mère) est disponible commercialement.
Le kinéscope original a été égaré, et on le crut détruit, pour finalement faire surface dans une vidéothèque il y a quelques années. Nous sommes heureux d’avoir trouvé une version numérique de ce kinéscope sur YouTube, et vous le trouverez plus loin dans ce billet.
Je vous invite à lire l’article Three Kings in 50 Minutes – il offre un survol très détaillé de la genèse de l’opéra, sa création, et des évènement qui s’en suivirent.
Gian Carlo MENOTTI (1911-2007)
Amahl and the Night Visitors (1951)
Opéra en un acte, livret de Menotti)
Distribution (Mise en scène de Menotti)
Amahl: Chet Allen
The Mother (La mere): Rosemary Kuhlmann
King Kaspar (Gaspard): Andrew McKinley
King Melchior: David Aiken
King Balthazar: Leon Lishner
The Page: Francis Monachino
Choeurs et NBC Opera Orchestra sous Thomas Schippers
(Le clip inclut une introduction parlée par Menotti, suivi de l’opéra et du mot de la fin de la part du commanditaire. En complément de programme, une chorale – sans doute le Columbus Boys Choir de Princeton au New Jersey – chante des cantiques de Noël. Cette portion s’arrête abruptement – sans doute là où la bande kinéscopique prend fin).
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