mercredi 15 février 2012

Il fallait y être

 

Le billet suivant est une reprise d'un Quinze que jèen pense, datant originalement du 12 février 2012.

(NDLR: L'intervention originale était assortie d'un sondage)

Le contenu de la réflexion fut modifiée pour sa reprise sur L'Idée Fixe.

Avec le boum technologique du dernier siècle, notre cadre de référence autour des «grands évènements» a beaucoup changé. Les médias d’information directs comme la télé et la radio (qui ont dominé largement les 50-75 dernières années du Xxe siècle) nous ont permis d’assister «en direct» à des événements (locaux ou internationaux) qui ont eu un impact tangible sur notre société. Que ce soit la Deuxième Grande Guerre, Neil Armsstrong qui marche sur la lune, ou l’inauguration de grands projets communautaires.

Si on considère les sujets pertinents à notre forum, le disque et les médias de masse (la radio au début, mais de plus en plus la télé, les chaînes spécialisées et l’Internet) ainsi que le cinéma (à sa façon) ont permis la diffusion des grandes premières, ou de grandes occasions (comme des concerts notoires) et -dans le cas du disque plus particulièrement - de préserver certains de ces grands évènements afin de les faire revivre pour notre bon plaisir, ou pour des fins historiques.

Considérons – pour ne nommer que ceux-là – les Beatles au Ed Sullivan Show (9 février 1964), les concerts d’adieu de
Bernstein (19 août 1990) et Toscanini (4 avril 1954), la création d’Amahl and the Night Visitors (le 24 décembre 1951
), la diffusion multi-médias (CD, DVD, …) du Requiem de Verdi par Claudio Abbado pour le centenaire du décès du compositeur (25 et 27 janvier 2001), l’inauguration de la Maison Symphonique de Montréal (7 septembre 2011) ou le retour de Vladimir Horowitz à Moscou (20 avril 1986).

Si on se limite aux 300 quelques dernières années, il doit y avoir une multitude d’évènements d’une portée et d’un intérêt variable, allant de curiosités personnelles jusqu’à des évènements d’une notoriété telle qu’ils ont marqué l’histoire de la musique.

La question du sondage qui accompagnait le billet original était fort simple: si l’occasion se présentait (le voyage dans le temps, par exemple…) auquel de ces grands évènements voudriez-vous assister en personne? Afin d’en arriver à un nombre raisonnable de sélections, je vous propose de lire le cheminement que j’ai entrepris afin d’en arriver à cette liste.

Les évènements du XVIIIe siècle: Mozart et Haydn

Pour commencer, une anecdote qui est restée gravée dans ma mémoire – le 4 novembre 1783, Mozart participe à un concert public au théâtre de Linz. Toutefois, le compositeur, parti «en vacances», n’avait aucune partition de ses œuvres avec lui. Quel malheur! On a pensé aux chaussettes, aux chemises, mais pas à des feuilles de musique… Il fut donc «contraint d’écrire une symphonie à toute allure». Le résultat – sa 36ie symphonie, une de mes symphonies préférées de notre cher Amadeus (Voir «
Les vacances de Mozart
»).

A la fin de l’été de 1772 (aucune date exacte disponible), les musiciens du prince Nicolas Ier Esterházy avaient passé la saison entière à divertir l’entourage princier, et le kappelmeister, Franz Joseph Haydn, décida de passer un message des plus subtils à son employeur: sa symphonie no. 45 sous-titrée «les adieux», avec l’extinction systématique des chandelles sur les lutrins des musiciens…

Les académies de concert de Beethoven

Contrairement à Mozart et Haydn, Beethoven n’a pas vraiment profité du soutien financier de mécènes – Beethoven doit se produire en spectacle afin de faire la promotion de ses services et de sa musique. Les académies musicales de l’époque étaient l’équivalent des tournées Rock d’aujourd’hui et Beethoven se doit d’être homme d’affaires, promoteur et directeur artistique afin d’empocher les profits de ces soirées. De Beethoven, on retient deux, sinon trois académies de concert mémorables: son académie du 22 décembre 1808 (
Deux billets
), soirée interminable qui offre la première d’au moins trois oauvres majeures (Ses symphonies no. 5 et 6 et son quatrième concerto pour piano), et celle du 7 Mai 1824, création de la neuvième symphonie, l’ouverture Die Weihe des Hauses et des mouvements de la Missa Solemnis.

Le 13 avril1807, Beethoven reprend un concert privé donné quelques semaines plus tôt chez le Prince Franz Joseph von Lobkowitz, où il crée sa quatrième symphonie, son troisième concerto et l’ouverture Coriolan.

Les salons

Je comprends que la cour impériale de Joseph II ne convient pas à la définition usuelle d’un salon, mais le 24 décembre 1781, l’Empereur invita Muzio Clementi et Mozart pour un concours pianistique amical à Vienne, dans le but de divertir ses convives pour Noël. Les compositeurs ont été appelés à improviser et à faire des sélections à partir de leurs propres compositions. L'Empereur a déclaré avec diplomatie que les combattants étaient ex aequo.

Le salon parisien de la princesse Christine de Belgiojoso fut le siège, le 31 mars 1837, d’un duel pianistique notoire entre Franz Liszt et Sigismond Thalberg afin de déterminer qui était le plus gramd virtuose. L’avis de Mme Belgiojoso “Thalberg est le plus grand pianiste, mais il n’y a qu’un seul Liszt."

La Verein für musikalische Privataufführungen (Société des performances musicales privées) fut un orgamnisme fondé par Arnold Schönberg durant l’automne de 1918, dédié à la performance d’oeuvres “modernes” à l’intention d’un public averti (et sans doute, affranchi). Pour les trois ans entre février 1919 et le 5 décembre 1921, l’organisme fut responsible pour 353 performances de 154 oeuvres échelonnées sur 117 concerts. Pour ces soirées viennoises, entre autres, Schönberg adapte personnellement deux œuvres de Gustav Mahler pour un orchestre de salon: la quatrième symphonie et les Lieder eines fahrenden Gesellen (dont une section fut présentée dans un de mes
combats de clips)

Les grandes premières opératiques

Le film Amadeus recrée à sa façon la première Viennoise de Don Giovanni (7 mai 1788) et la dynamique Mozart père et fils. Dans la peau de Salieri, F. Murray Abraham révèle que la première affecta tant Mozart (qui en assura la supervision et la direction musicale) qu’il vit personnellement à écourter la série de spectacles prévue.

Le Bayreuther Festspielhaus (Palais des festivals de Bayreuth), salle conçue par et expressément pour Richard Wagner et son œuvre est déplus près de 130 ans le théâtre d’un bon nombre de productions mémorables et controversées des opéras du compositeur. En dépit des nombreuses productions de la tétralogie L'Anneau du Nibelung montées dans ce panthéon musical, son inauguration et la première performance intégrale de la tétralogie donnée du 13 au 17 août 1876. (les deux derniers opéras étant donnés en création mondiale) doit figurer parmi notre liste…

Quel spectacle qu’a dü ëtre la création d’Aida au Caire le 24 décembre 1871! Mais j’aurais préféré être présent pour la première de Turandot le 25 avril 1926 sous Toscanini, la performance qu’il arrêta avec «Qui finisce l'opera, perché a questo punto il maestro è morto».

Stravinski et les Ballets Russes de Diaghilev

L’association entre Igor Stravinski et l’imprésario Diaghilev a permis de monter la célèbre trilogie de ballets formée par L’Oiseau de Feu (25 juin 1910), Pétrouchka (13 juin 1911),et Le Sacre du Printemps (29 mai 1913).

Durant la saison 1912-13, les Ballets Russes ont monté deux autres œuvres d’envergure: Daphnis et Chloé (musique de Maurice Ravel, 8 juin 1912), et Jeux (musique de Claude Debussy, 15 mai 1913).

New-York

N’en déplaise aux mélomanes de Chicago, Toronto ou Buenos Aires, La Mecque de la musique en Amérique est New-York. New-York fut le théâtre d’un nombre impressionnant de grands moments, et le fameux Carnegie Hall en particulier. Nous avons parlé beaucoup le mois dernier du
concert du 16 janvier 1910
, et nous avons souligné en début de billet le concert d’adieu de Toscanini. Que dire du concert du 6 avril 1962, et la performance notoire du premier concerto de Brahms par Glenn Gould qui nécessita une introduction exceptionnelle de Leonard Bernstein («N’ayez crainte, M. Gould est parmi nous…»).

Quand on parle Carnegie Hall, on parle également des grands débuts: Jacha Heifitz (27 octobre 1917), Horowitz (12 janvier 1928), Benny Goodman et son orchestre (16 janvier 1938), Bernstein remplace Bruno Walter à pied levé (14 novembre 1943), …

Mais il n’y a pas que le Carnegie Hall. Paul Whiteman et son orchestre envahissent l’Aeolian Hall le 12 février 1924 pour un concert intitulé
An Experiment in Modern Music (Une expérience de musique moderne) où George Gershwin crée sa pièce fétiche pour piano et orchestre Rhapsody In Blue. Ou le «Vieux Met» - le nom donné à la salle originale du Metropolitan Opera de New-York sis au 1411 Broadway et démoli en 1967 où Puccini créa La Faniciula del West (10 décembre 1910) et Il Trittico (14 décembre 1918)

Les mentions honorables

Il y a bien d’autres grands moments qui n’ont pas fait mon palmarès ou fait partie de ma réflexion ci-haut. Voici une liste non-exhaustive de ces mentions (plus qu’) honorables:


  • Matthäus-Passion (La Passion selon St-Mathieu) fut probablement créée vendredi Saint le 11 avril 1727 à la Thomaskirche de Leipzig – là où Bach était le kantor.
  • Création du célèbre oratorio Messiah de Handel eut lieu, non pas à Londres, mais en Irlande – à Dublin le 13 Avril 1742.
  • Dix ans après le décès de Schubert, Robert Schumann convainc son confrère Félix Mendelssohn de diriger une oeuvre à ce jour considérée “injouable et pompeuse”, la grande symphonie en ut majeur. La performance a lieu au Gewandhaus de Leipzig le 21 mars 1839.
  • Tchaïkovski fait la suggestion à plusieurs de ses confrères: sa nouvelle symphonie est une œuvre qui a un programme «caché». La symphonie, aujourd’hui surnommée la Pathétique est créée à St-Petersburg sous la direction du compositeur le 16 octobre 1893. Tchaikovski mourra trois semaines plus tard, sans révéler le secret du programme…
  • La première du recueil de chansons Sea Pictures de Sir Edward Elgar, le 5 octobre 1899 au Norfolk and Norwich Festival. Elgar en assure la direction, et la cantarice Clara Butt est vêtue d’un costume de sirène.
  • Création de la Symphonie des mille de Mahler, au Neue Musik-Festhalle de Munich le 12 septembre 1910.
  • Créattion de la symphonie no. 5, de Dmitri Chostakovitch le 21 novembre 1937 à Léningrad. Selon des témoignages: «Lors de la finale, l’auditoire se leva, un par un jusqu'à ce que le public entier soit debout. Après les notes finales, le public a éclaté. L'ovation a duré plus d'une heure, plus longtemps que la symphonie elle-même, les gens ont couru à travers les rues se félicitant les uns les autres d’avoir été là.».
  • Le Teatro alla Scala de Milan fut sérieusement endommagé par des bombardements en 1943, et dut être rénové. Sa réouverture, le 11 mai 1946, fut souligné par un concert mémorable sous Toscanini, accompagné par la cantatrice Renata Tebaldi.
  • Autre évènement rapporté dans nos pages, le concert-gala inaugural de la Place des Arts de Montréal, le 21 septembre 1963, sous la direction conjointe de Wilfrid Pelletier et d’un jeune Zubin Mehta.
  • Parlant de jeunes hommes, comme Bernstein avait l’air jeune et fringuant lors de son apparition télévisée du 14 novembre 1954, expliquant la cinquième de Beethoiven au public Américain.
 

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