mardi 23 mai 2017

L'heure Espagnole (Ravel)


Le billet suivant est mon Mardi en Musique du 23 mai 2017.

Pour faire changement, mon partage de cette semaine est un court opéra. Comme plusieurs d’entre vous, j’ai un faible pour des opéras en un acte, durant moins d’une heure, qui conviennent avec la durée de mes déplacements quotidiens sur les bancs des autobus d’OC Transpo.

Selon Natalie Morel Borotra on pense surtout à Ravel en tant qu’auteur d’oeuvres symphoniques ou de pièces pour piano. Son œuvre vocale, pourtant, est presque aussi importante que le répertoire instrumental, et d’égale qualité. Pendant ses quarante années de vie musicale active on peut trouver dans son catalogue plus de quarante mélodies, dont quatre petits cycles et plusieurs recueils de chants populaires harmonisés, une vocalise-étude, trois chœurs a cappela, des pièces de concours écrites pour le Prix de Rome (ses cantates Myrrha et Alcyone), et deux œuvres lyriques menées à bien, L’heure Espagnole et L’Enfant et les sortilèges.

D’après l’analyse de Catherine Scholler en 1904 au théâtre de l'Odéon, eut lieu la création d'une pièce qui remporta un joli succès, L'Heure espagnole, dont l'auteur, Franc-Nohain, est aujourd'hui largement oublié. C'était pourtant un acteur important de la vie intellectuelle du début du XX° siècle, entre autres choses parce qu'il était membre fondateur du cénacle des Amorphes, créé par Alphonse Allais, qui regroupait des noms aussi connus que Jules Renard, Tristan Bernard ou Alfred Jarry. Le sujet de L'Heure espagnole est grivois, truculent, et en définitive très sain. Les phrases vaporeuses des symbolistes populaires à l’époque tels Maeterlinck, qui laissent une impression de double sens obscur, y sont remplacées par des allusions, sous-entendus et jeux de mots à caractère sexuel, se référant à une réalité on ne peut plus matérielle. Finis les héros éthérés et les héroïnes évanescentes, Conception est une femme décidée, Ramiro un solide gaillard, les personnages ne parlent plus d'amour, ils le font!

Maurice Ravel et Claude Debussy se connaissaient personnellement et à défaut d'être intimes, ils furent bons amis pendant plusieurs années. Mais l'un et l'autre, tout en s'admirant mutuellement, chassaient sur les mêmes terres. Il est donc logique d’imaginer Ravel embrasser l’anti-symbolisme de Franc-Nohain afin de se démarquer de son collègue. En fait, toujours selon l’analyse ci-haut, d'autres motifs que l'anti-symbolisme, et de bien plus puissants, ont d'ailleurs motivé le choix du sujet de Maurice Ravel.

En tout premier lieu, l'Espagne Il n'existait pas de Pyrénées pour ce basque né non loin de Saint-Jean-de-Luz, auquel sa mère, en guise de berceuse, fredonnait habaneras et refrains de zarzuela : l'Espagne était sa seconde patrie musicale. Et puis, tout en louchant sur Pelléas et Mélisande, il devait être amusant de glisser quelques allusions à Carmen, à l'époque le deuxième pilier de l'Opéra-Comique après l'opéra de Debussy. Mais l'Espagne musicale de Ravel est une Espagne vécue, sucée avec le lait maternel, contrairement à la musique de Bizet, conçue pour "faire espagnol", de façon un peu artificielle.

Le deuxième amour de Maurice Ravel renvoie à la moitié paternelle de sa famille, originaire de Suisse : il s'agit des automates et mécanismes d'horlogerie. Cette fascination d'enfance ne l'a jamais quittée et il pensa plusieurs fois à des sujets mettant en scène des automates : le prélude de L'Heure espagnole est ainsi repris d'une symphonie horlogère, esquisse de mise en musique de L'homme au sable d'ETA Hoffmann, dont la poupée mécanique inspira également Delibes pour Coppélia et Offenbach pour Les contes d'Hoffmann.

Ravel délégua Claude Terrasse, ami commun, afin de demander à Franc-Nohain l'autorisation d'utiliser son texte. Le fantaisiste-dramaturge en fut étonné, car aucune oeuvre n'était moins propre au lyrisme que le sien, mais il donna son accord. Ravel n'apporta aucune modification au texte, hormis quelques coupures lui permettant de resserrer l'action.

La bibli musicale du forum propose une version vieille de presque 65 ans signée Ansermet. Le partage d’aujourd’hui est un peu plus récent (en date de 1965) et est signée Lorin Maazel, qui accompagne une distribution Française dans cette production rééditée à maintes reprises par la maison DG.


Maurice RAVEL (1875-1937)
L'Heure Espagnole, MR 52
Comédie musicale en un acte et vingt et une scènes
Après la pièce de Franc-Nohain

Les personnages:
Torquemada, horloger: Jean Giraudeau
Conception, épouse de Torquemada: Jane Berbié
Ramiro, muletier: Gabriel Bacquier
Gonzalve, bachelier: Michel Sénéchal
Don Inigo Gomez, banquier: José van Dam
Orchestre National de la R.T.F
Lorin Maazel, direction
Enregistrement: Paris, O.R.T.F., 2/1965

Argument - http://www.olyrix.com/oeuvres/449/lh...gnole/argument
Livret - http://www.operalib.eu/oraspagnola/pdf.html

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